Cultiver une culture organisationnelle fondée sur l’équité : Le cas de l’Association acadienne des artistes professionnel.le.s du Nouveau-Brunswick

4 décembre 2024

Dans les derniers mois, l’AAAPNB a eu le privilège de bénéficier d’un accompagnement personnalisé de la chercheuse Shanice Bernicky (Université Carleton) alors qu’elle amorçait une réflexion sur ses pratiques en matière d’équité. L’intérêt de l’Association à prendre part à ce projet s’expliquait par différentes raisons. 

D’une part, la population artistique néo-brunswickoise se transforme rapidement notamment sur le plan ethnoculturel, sous l’effet de l’augmentation significative du taux d’immigration interprovinciale et internationale. Or, même si l’AAAPNB observe depuis quelques années une tendance à la diversification de son membership, celui-ci demeure plutôt homogène, particulièrement sur le plan racial. L’Association a donc à cœur l’identification d’objectifs clairs lui permettant de s’assurer de représenter adéquatement l’ensemble de la communauté artistique et culturelle francophone de la province, ainsi que de stratégies pertinentes à adopter pour atteindre ceux-ci. Deuxièmement, même si l’Association déploie sur une base régulière des actions qui s’inscrivent dans une quête pour une plus grande équité, elle ne dispose pas de politique ou de lignes directrices claires lui permettant d’entreprendre ce travail de manière structurée et alignée avec son membership. En tant qu’organisme engagé pour une plus grande justice sociale ayant toujours milité pour les droits des artistes et de la communauté acadienne plus largement, l’AAAPNB se sentait mûre pour entreprendre un travail de structuration de son approche à l’équité. Ceci explique pourquoi l’Association n’a pas hésité à participer à cette phase du projet de Mass Culture. 

Pressée de profiter de cette opportunité pour mettre sur pied de nouvelles pratiques et pour en améliorer d’autres, l’AAAPNB a vite réalisé que cet objectif était potentiellement trop ambitieux pour la durée de l’accompagnement, surtout considérant l’ampleur des projets qu’elle porte quotidiennement. Elle a également reconnu le besoin d’explorer davantage le concept d’équité en mobilisant toute son équipe, incluant son conseil d’administration. À ce sujet, il est pertinent de noter que la composition du personnel et du conseil d’administration, peu diversifiée sur le plan racial au moment d’entreprendre ce projet, se caractérisait alors par plusieurs formes de diversité s’exprimant notamment au niveau de l’âge, de l’orientation sexuelle, et des pays et des régions d’origine des employées (Acadie, Québec, France, Cameroun).  

Plutôt que de brûler des étapes, l’AAAPNB a conséquemment choisi de recentrer sa démarche sur la mise en œuvre du premier pilier du cadre d’impact développé par Bernicky, soit la prise de pouls. Bien que nous ayons touché à plusieurs reprises aux autres piliers du cadre (socialisation transparente; équité efficace/affective et en continu), la prise de pouls nous a paru comme le point de départ qui nous permettrait d’amorcer un travail visant avant tout à cultiver une culture fondée sur l’équité au sein de notre équipe. L’équipe de direction s’est entendue sur la nécessité de prendre le temps qui s’imposait pour s’assurer que la démarche soit bien comprise par tous-tes et pour qu’on puisse identifier des objectifs motivants, réalistes et susceptibles de rallier le collectif. Bien que les réalités des organismes artistiques diffèrent les unes des autres, nous estimons qu’il est utile (voire nécessaire) de procéder à une prise de pouls avant de se lancer dans les autres phases de l’application du cadre d’impact développé par Bernicky. 

La prise de pouls

La prise de pouls s’est effectuée principalement à travers deux types d’activités, tout en reconnaissant la nature cyclique du cadre d’impact de Bernicky. Durant la première activité, la chercheuse a présenté son cadre d’impact aux membres de l’équipe, ce qui était essentiel, particulièrement considérant la nature académique du cadre d’impact. Ensuite, elle a co-animé une discussion portant sur trois questions, en collaboration avec l’employée de l’AAAPNB chargée du projet: 

  • Qu’est-ce que l’équité signifie pour vous ?
  • Selon vous, quelles sont les bonnes pratiques de l’AAAPNB en matière d’équité ?
  • Selon vous, qu’est-ce que l’AAAPNB pourrait améliorer en termes de pratiques d’équité ? 

En tout, deux réunions de ce type ont eu lieu, la première avec les membres de l’équipe courante de l’AAAPNB et la seconde avec les membres du conseil d’administration et du conseil des disciplines artistiques, où siègent six artistes élu.e.s par leurs pairs qui représentent les membres de l’AAAPNB œuvrant dans six disciplines. Au départ du projet, la décision d’impliquer systématiquement les membres du conseil d’administration dans toutes les étapes du projet et dans toutes les décisions qui y ont trait a parfois été ressentie comme une contrainte additionnelle au niveau de la progression du projet. Avec le recul cependant, cette décision fut bénéfique au niveau du développement d’une culture fondée sur l’équité au sein de l’Association. En effet, cela nous aura permis de rallier les membres de l’équipe autour d’une vision plus cohésive de l’équité, ainsi que de s’entendre collectivement sur l’importance d’en faire un principe transversal à l’ensemble de nos activités et de nos décisions.  

Durant la seconde activité de prise de pouls, les employées de l’AAAPNB ont été sollicitées afin de réaliser un diagnostic collectif des pratiques d’équité de l’organisation dans un fichier partagé et de manière anonyme. Cet exercice aura permis de mieux répondre aux deuxième et troisième questions mentionnées ci-dessus, dans un cadre qui permet de ne pas s’auto-censurer par peur du jugement des pairs. Par contre, le fichier était construit de manière à isoler chaque projet porté par l’AAAPNB. Or, comme les employées attitrées à chaque projet ne sont pas nombreuses, la dimension anonyme de l’initiative n’a pas pu être garantie. Nous recommanderions à d’autres organismes désirant tester le cadre d’application de s’assurer de créer un outil partagé qui préserve réellement l’anonymat des participant.e.s. 

De ce diagnostic collectif, nous avons retenu certaines idées et propositions des employées qu’il serait pertinent de tester à l’AAAPNB dans les prochains mois. Voici quelques exemples : 

  • Tenir et mettre à jour un document qui contient des données socio-démographiques volontairement fournies par les personnes qui siègent sur notre structure de gouvernance, afin d’avoir un portrait clair de la composition de celle-ci et de pouvoir établir des stratégies claires et pertinentes de diversification.
  • Tenir compte des personnes qui ont des handicaps invisibles, notamment au niveau auditif, par exemple en parlant plus lentement et plus fort lors des rencontres d’équipe et lors des événements produits par l’Association. Vérifier régulièrement avec les participant.e.s à nos activités que le niveau sonore est bon. Ceci est particulièrement important étant donné que le membership de l’Association compte une proportion significative d’artistes âgé.e.s. 
  • Développer des partenariats avec des organismes communautaires qui servent des groupes en quête d’équité, et amplifier leur travail dans nos réseaux sociaux.
  • Encourager la tenue d’événements hybrides (en personne et en ligne) pour maximiser la participation des artistes qui vivent dans des régions éloignées ou qui ont des enfants, par exemple.
  • S’assurer de demander systématiquement quels sont les besoins en matière d’accessibilité dans nos formulaires d’inscription et d’évaluation de nos activités.
  • Créer des prix ou des mentions spéciales qui mettent en valeur les contributions exceptionnelles des artistes issu.e.s de la diversité lors de notre festival Les Éloizes.
  • Développer et soutenir des projets de médiation culturelle à vocation sociale, par exemple tournés vers l’intégration des nouvelles et nouveaux arrivant.e.s, vers le bris de l’isolement des personnes âgées, vers le dialogue interculturel, etc., dans les municipalités francophones de la province. 

Que signifie l’équité ? 

L’exploration, en groupe, de la signification du terme « équité » aura permis de réaliser plusieurs constats. Premièrement, la majorité des employées étant en poste depuis moins de 3 ans, l’équipe ne disposait pas d’une connaissance exhaustive de l’historique des pratiques de l’AAAPNB en matière d’équité. Dans ce contexte, il s’avérait difficile d’identifier quels avaient été les bons coups et les moins bons coups en matière d’intégration de l’équité comme principe transversal aux activités et aux décisions. Seule la Directrice générale était au fait de la diversité et de l’origine de l’approche développée par l’Association en matière d’équité et de justice sociale, elle qui est en poste depuis près de 25 ans. L’exercice aura ainsi permis à l’équipe de réaliser que ce pan particulier de la mémoire organisationnelle était détenu par une seule personne, et qu’il était impératif de s’atteler à partager et à conserver ces connaissances dans le futur. 

Deuxièmement, les employées se sont montrées parfois confuses au niveau de l’application d’actions concrètes pour favoriser l’équité. Cette confusion était à la fois due au fait qu’il existe plusieurs groupes en quête d’équité et qu’il est difficile de choisir quel groupe privilégier sur d’autres et pourquoi, ainsi qu’à un sentiment partagé de marcher sur des œufs au niveau des relations avec certains groupes, et notamment avec les personnes autochtones et les personnes non-binaires. Certaines personnes ont mentionné désirer apprendre à créer des ponts respectueux avec les communautés autochtones, mais ne pas savoir comment s’y prendre ou ne pas vouloir s’imposer à elles. Dans ce cas en particulier, les inconforts semblaient susceptibles de devenir paralysants pour l’Association. L’approche de l’AAAPNB vis-à-vis de ses relations avec les peuples autochtones devrait faire l’objet d’une attention particulière dans le futur, surtout considérant que plusieurs projets sont effectués en collaboration ou en lien direct ou indirect avec des groupes autochtones. 

Troisièmement, et en lien avec ce qui vient d’être mentionné, la discussion aura permis de faire émerger des zones de tensions et de malaises, particulièrement au niveau des actions à mettre en place pour améliorer les pratiques d’équité de l’AAAPNB. Certaines suggestions ou critiques constructives furent accueillies avec résistance. Un élément marquant de la discussion fut l’influence du contexte linguistique minoritaire au niveau des prédispositions de certaines à s’engager dans des actions visant à améliorer nos pratiques en matière d’équité. La conversation fut utile pour mieux comprendre la manière dont les communautés francophones en situation minoritaire sont négativement et émotionnellement affectées par leur marginalisation, ainsi que par leur exclusion à de nombreux programmes visant à protéger d’autres groupes en quête d’équité dans le secteur artistique (ex. personnes racisées, autochtones, en situation de handicap, femmes, LGBTQ2A+ etc.). En tant que peuple fier dont l’identité s’est forgée sur le socle de la résilience et de la résistance, les Acadien.ne.s ont développé des réflexes et des habitudes qui peuvent tendre vers la protection de leurs pairs et de leurs acquis obtenus de longues luttes. Un des grands défis pour les organismes artistiques qui servent des communautés de langues officielles en situation minoritaire demeure ainsi de s’engager dans une démarche visant à atteindre l’équité d’un point de vue intersectionnel. 

La tenue de ces activités de prise de pouls aura permis de mobiliser toute l’équipe autour du projet, de clarifier ses objectifs, de discuter ensemble de ce qui pouvait réalistement être accompli, d’explorer ensemble des zones de malaise et de déconstruire certaines notions préconçues et fausses. Alors que l’AAAPNB était impliquée dans l’application du cadre d’impact, une employée a également partagé qu’elle réfléchissait dorénavant toujours à l’équité dans l’exercice de son travail. En peu de temps, le projet aura réussi à imprégner les mentalités des personnes qui permettent à l’Association de remplir sa mission et son mandat. Assez incroyable ! 

S’assurer que l’Association représente adéquatement les artistes acadien.ne.s et francophones de la province

Au-delà du travail effectué auprès de l’équipe et des membres du conseil d’administration et du conseil des disciplines artistiques, la participation de l’AAAPNB au projet aura été l’occasion pour elle de se questionner sur sa capacité à rejoindre et à représenter adéquatement l’ensemble des artistes professionnel.le.s acadien.ne.s et francophones de la province. Or, sans disposer de données sur la composition du membership, il était difficile de se doter d’un mandat clair en matière d’équité et de cibles réalistes et pertinentes à atteindre. 

Il a été décidé de créer un formulaire d’auto-identification. Sur ce point encore, l’accompagnement de Bernicky aura joué un rôle essentiel au niveau de l’élaboration des questions d’une manière qui soit à la fois précise et sensible, ainsi que du développement d’une méthode de gestion des données qui soit éthique et transparente. La production de ce formulaire aura par ailleurs été l’occasion d’informer le personnel, les membres du conseil d’administration, et éventuellement les membres, des obligations qui découlent de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Avec leur accord, nous nous sommes également inspiré.e.s d’un formulaire similaire administré par le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick, artsnb. Cela aura permis d’atténuer l’incompréhension exprimées par certain.e.s membres du personnel ou du conseil d’administration par rapport à la démarche en général. 

Puis, le contenu du formulaire aura généré de vifs échanges au sein des membres du conseil d’administration et avec certains membres de l’équipe. Plus précisément, les questions sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ont causé un malaise chez plusieurs personnes qui les estimaient intrusives, si bien qu’il a été décidé d’isoler deux de ces questions à la fin du formulaire et de donner l’opportunité aux répondant.e.s d’y répondre ou non, en les avertissant des thématiques abordées préalablement. Au terme de plusieurs itérations du formulaire, celui-ci aura finalement été approuvé par les membres du conseil d’administration. Il est couramment en phase de test au sein des membres de l’équipe et il devrait être administré aux membres de l’Association à l’automne 2024. Ses résultats, sous forme agrégée, seront restitués aux membres et à l’équipe afin de les sensibiliser et de les sonder quant aux zones potentielles d’amélioration en matière de représentation d’artistes issu.e.s de groupes en quête d’équité. 

En somme, notre participation à ce projet aura eu de grands impacts au niveau individuel et organisationnel. Au-delà de la fin du projet avec Mass Culture, une employée a exprimé le désir de conserver ce dossier sur l’équité et de continuer à le faire vivre. Sur ce point, l’accès au cadre d’impact créé par Bernicky facilitera le travail, en guidant l’association au niveau de l’application des trois autres piliers : la socialisation transparente, l’équité efficace/affective, ainsi que le travail en continu. La chercheuse a également accepté de recevoir des questions ou des commentaires en lien avec l’application de son cadre d’impact,cau-delà de la complétion du projet. 

Pour en savoir plus, visitez le site Mass Culture